mardi 15 septembre 2009

Ali Daldoul, un Tonton-Macoute version soft

Slim Bagga propose une série sur les barbouzes du président Ben Ali. Premier à en faire les frais : Ali Daldoul qui sévit dans le nord de la France.
Nous entamons aujourd’hui une série de révélations sur les barbouzes tunisiennes oeuvrant pour le compte du régime tunisien. Du piratage des ordinateurs à la filature d’opposants ; des montages de cassettes et vidéos aux insultes et intimidations téléphoniques ; du harcèlement des familles aux agressions physiques, le régime du 7 machin a mis sur pied des cellules dont les missions secrètes se complètent et qui trouvent leur origine à Carthage. Là où les décisions sont concentrées. Là où les ordres sont donnés. Et là où les rapports sont fournis.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est le président Ben Ali qui gère ces cellules. Ce sergent a beaucoup de temps : il n’est ni théoricien ni penseur politique pour réfléchir à ce qui secoue le monde ou même la Tunisie ; on ne lui connaît pas non plus d’activité intellectuelle ni de hobbies particuliers. Ceux qui l’ont approché de près décrivent un homme qui, passés les rendez-vous quotidiens et sans aucune consistance, est accroché à son téléphone pour réprimer une manifestation, interdire une réunion, plastiquer une radio, fouiller et fouiner dans son atelier avec ses micros, ses écoutes sauvages, ses ordinateurs.
Oui, Ben Ali est un flic, un super flic même. Si on ne le voit pas sur le terrain à mater les dissidents avec ses sbires, c’est pour deux raisons : apparaître comme un vrai Président, à l’écart du tumulte de la rue. Et parce qu’il a peur. C’est un froussard-né.

Les longues oreilles d’un flic

Parmi ses plus fidèles hommes de main depuis la fin des années 1960 figure Ali Daldoul, un militaire qui s’est spécialisé dans le renseignement. A ses débuts, le sous-lieutenant Daldoul oeuvrait sous les ordres du commandant Ben Ali lorsque, au début des années 1970, Ahmed Mestiri, ministre de la Défense, voulut moderniser le secteur militaire en le dotant d’une structure de renseignement.
Ben Ali hérita alors de cette responsabilité et Daldoul le suivit. Question coups bas, tout est parti de là. Quelques semaines à peine après avoir pris leurs nouvelles fonctions, les deux hommes placèrent du matériel d’écoutes dans les pots à fleurs du Cercle militaire du Belvédère pour piéger et écouter les officiers qui s’y réunissaient et s’y livraient à des messes basses.
De même, lorsque Mohamed Charfi rendait visite sous une fausse identité à Khemais Chammari à la caserne où il effectuait son service militaire et que les “perspectivistes” de l’époque donnaient du fil à retordre au régime de Bourguiba, Ali Daldoul n’ignorait pas que la carte d’identité présentée à l’accueil était celle d’un autre. Mais d’un commun accord avec Ben Ali, il laissait faire. Une fois l’entrevue terminée entre les deux opposants, un motard venait chercher l’enregistrement pour le remettre directement à Ben Ali au ministère de la Défense.

Entre Zinochet et la barbouze du Nord, échange d’amabilités

Par la suite, Ali Daldoul entra au PSD (Parti socialiste destourien) et y devint les oreilles de Ben Ali. En 1973, cet ambitieux féru de lecture quitte officiellement Ben Ali pour poursuivre ses études de mathématiques à Lille, dans le Nord de la France. Mais il ne coupe pas les ponts avec son mentor, "renvoyé" à Rabat après l’échec de l’Union avec la Libye où il a été soupçonné de rouler pour l’agité Kadhafi. Rabat où, de l’avis et surtout de la mémoire de riverains de l’ambassade de Tunisie, Ben Ali n’a laissé que d’atroces souvenirs dont Hassan II était toujours au fait. Nous y reviendrons à une autre occasion pour relater le mépris qu’entretenait le souverain chérifien pour cet attaché militaire et ce, dès 1974.
Reprenant ses études de mathématiques à Lille, cet ex-élève d’Alaoui, bachelier (ce qui n’est pas le cas de Ben Ali), a conservé une grande amertume de ne pas avoir continué et persévéré dans sa carrière militaire. Lui qui a « vraiment fait Saint-Cyr et défilé en uniforme sur les Champs-Elysées, et contrairement à d’autres propulsé sur le devant de la scène grâce un beau-père Général ». Mais en soldat fidèle et discipliné, il envoya régulièrement des cigares et des gentils mots à celui qui était devenu le colonel Ben Ali. De son côté, ce dernier lui expédiait de gentilles cartes postales rédigées de sa fine plume noire pour lui dire toute sa gratitude…

Daldoul sévit dans le nord de la France

En intégrant la Fédération PSD du Nord de la France, il y sema la zizanie. Pour lui comme pour Ben Ali aime-t-il répéter, il faut toujours foutre le bordel, monter les uns contre les autres pour tirer son épingle du jeu. « Pourquoi voulez-vous que les choses soient calmes » est sa devise qui lui sert à en appliquer une autre consistant à diviser pour avoir l’oeil sur tout.
Ali Daldoul connut à cette même époque une dame, Annie, professeur d’allemand qui deviendra son épouse et avec laquelle il aura une enfant unique, Sarra. Discrètes, ces deux se plaignaient néanmoins en privé de ses absences régulières du domicile au profit de réunions barbouzardes à l’université, histoire de mater les étudiants de gauche, ou dans le fief du PSD à Lille.
De plus, la DST française, dont le siège se situe à 50 mètres de l’appartement d’Ali Daldoul, avenue de la République, à Lille, s’intéressait de plus en plus aux activités pour le moins "louches" de cet homme qui ne tient pas en place et qui a mis sur pied un réseau d’informateurs tunisiens et algériens dont un certain Ahmed "La gare" (car il pointe 18 heures sur 24 à la gare de Lille-Flandres) pour lui faire des comptes-rendus rémunérés sur les mouvements… ferroviaires des dissidents.
D’ailleurs, lorsque vingt ans plus tard Ben Ali a voulu nommer Ali Daldoul consul de Tunisie à Lille, la France s’y opposa à cause de rapports défavorables des Renseignements généraux et de la DST à son sujet.
Mais ne brûlons pas les étapes de l’itinéraire de cette barbouze à la disposition de laquelle Ben Ali a mis d’énormes moyens pour fréquenter l’opposition et — ô vieillesse ennemie — se consacrer depuis dix ans au hacking et à la désinformation…

Un électron libre

Le caractère solitaire d’Ali Daldoul ne pouvait le rendre efficace qu’en échappant à tout travail de groupe. C’est ainsi qu’il a toujours agi en électron libre qui ne rend de comptes qu’à une autorité, le Parti, dont il devint l’un des attachés sociaux jusqu’en 1988, et par la suite le consul général et enfin l’ATCE, l’agence en charge de la communication officielle du régime.
Précisons que, bien souvent, Ali Daldoul passa outre les limites fixées par sa hiérarchie et agit en contradiction totale avec elle. Ainsi en fut-il en 1993 où l’anecdote suivante se déroula : DST et Renseignements généraux tunisiens étaient sur le qui-vive, planqués dans leur antenne de l’ambassade de Tunisie à Paris. Des dissidents, dont Mondher Sfar et Ahmed Manaï, venaient à peine de créer une association appelant à la démission du général Ben Ali.
Un autre fait marquant venait de se dérouler en Tunisie : Ben Ali libérait un Français d’origine juive, condamné à la perpétuité pour avoir assassiné une femme à Tunis. Une délégation conduite notamment par le Rabbin Joseph Sitruk fit le déplacement et usa de son influence auprès du tyran de Carthage pour le libérer.

Ali Daldoul prend la plume dans « Minute »

Quelques jours plus tard, et en plein mois de Ramadan, le député-maire de Sarcelles, Dominique Strauss-Kahn et son épouse, Anne Sinclair, organisaient un dîner royal dans leur fief. L’ambassadeur tunisien de l’époque, le général Abdelhamid Escheikh faisait partie des convives. Quelle ne fut pas, alors, la surprise des services secrets tunisiens de lire dans l’hebdomadaire d’extrème-droite Minute un article enflammé, critiquant sévèrement l’ambassadeur tunisien qui ingurgitait de la boukha coulant à flots lors d’une soirée organisée pendant le Ramadan .
Cet article, intitulé « Pour les beaux yeux d’Anne Sinclair », n’était pas d’inspiration "daldoulienne" : il a été rédigé par Ali Daldoul en personne et publié sous un pseudonyme.
Les services tunisiens s’étaient pliés en quatre pour mettre un visage sur l’auteur de cette bombe, en vain. Ce qui fit dire à sa fille Sarra, en privé, lors d’une soirée dans un bistrot parisien de la place de la République où elle vivait : « Je ne comprends rien à cette politique, je ne comprends rien à mon père. Avec qui est-il ? De toute façon, c’est louche ces règlements de compte. Cela finira mal, nécessairement très mal un jour… ».
A suivre…
Slim BAGGA

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